L’heure du Vay II :
Une lecture statistique du Journal pour acquérir la connaissance pratique des marées de la baie des Vays
Une lecture statistique des conditions des passages à gué amène à une connaissance pratique et à une compréhension suffisante des marées de l’estuaire de la Vire, de la Douve et de la Taute, pourvu qu’on ait lu préalablement Pline l’Ancien (Livre II):XCIX. (XCVII) :
[1] J'ai déjà beaucoup parlé de la nature des eaux ; mais ce qu’elles présentent de plus singulier est le flux et le reflux de la mer. La cause de ce phénomène, qui offre beaucoup de variétés, est dans le soleil et dans la lune. La mer, entre deux levers de lune, monte et redescend deux fois, toujours en vingt-quatre heures. A mesure que le ciel s'élève avec la lune, les flots se gonflent ; puis ils reviennent sur eux-mêmes lorsque, après son passage au méridien, elle descend vers le couchant ; derechef, quand elle passe dans les parties inférieures du ciel et gagne le méridien opposé, l'inondation recommence, et enfin le flot se retire jusqu'au lever suivant.
[2] La marée ne se fait jamais au même temps que le jour précédent, comme si elle était l'esclave de cet astre avide qui attire à lui les mers, et qui, chaque jour, se lève à un autre endroit que la veille. Le flux et le reflux alternent à des intervalles toujours égaux, qui sont de six heures chacun, non pas des heures d'un jour, d'une nuit ou d'un lieu quelconque, mais des heures équinoxiales. Aussi ces intervalles, évalués en heures vulgaires, paraissent-ils inégaux suivant le rapport des heures équinoxiales avec les heures vulgaires du jour et de la nuit ; ils ne sont égaux partout qu'aux équinoxes.
C’est insuffisant pour organiser la vie des marins et des ripuaires qui ne peuvent en tirer un des instants utiles du phénomène, par exemple l’heure de la basse mer. Mais ils peuvent alors analyser leurs observations avec cette clef : La cause de ce phénomène, qui offre beaucoup de variétés, est dans le soleil et dans la lune.
La marche du Soleil étant régulière, ce ne peut être lui seul. Soleil et Lune ou Lune seule ? Pline semble pencher pour l’action de la Lune ; voici ce que nous pouvons examiner :
Dressons un tableau comportant les observations temporelles des passages à gué (basse mer) de Gilles de Gouberville rapportés à l’âge de la Lune et classées de 1 à 30.
Nous prenons en considération trois sources d’indications temporelles qui documentent ces passages à gué :
– Les heures d’entrée en Vay mentionnées dans le Journal.
– Les heures de lever ou de coucher du Soleil fournies par le serveur de l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides, Observatoire de Paris(IMCCE), lorsque Gilles de Gouberville prend le lever ou le coucher du Soleil comme référence.
–Les heures relevées grâce à l’analemme tracée, ci-dessus dans l’article « L’heure du Vay I »
Trente-sept passages sont suffisamment renseignés dans le Journal. Ce tableau est issu de l’élagage du tableau présenté dans le Cahier Goubervillien n°24.
Figure 1 : Passages au Grand Vay avec heures d'entrée en Vay.
Portons ces heures relevées sur une rota à 30 parts représentant la lunaison. Sont représentés en rouge, couronne extérieure, les âges de la Lune de 1 à 30 ; en bleu les heures issues directement du Journal de I à XII ante meridiem et post meridiem ;en vert les heures en référence au lever ou au coucher obtenues par la consultation du serveur IMCCE ou par l’analemme décrit dans l’article précédent « L’heure du Vay I »
En violet sur la Rota sont indiquées les heures obtenues pour la baie des Vays à chaque jour d’âge de la Lune en utilisant la règle de Bède que j’ai exposée dans le Cahier n°24.
Figure 2 : Rota statistique tirée des renseignements du Journal (D. Béneult).
Nous pouvons constater que l’entrée en Vay se fait :
Le jour d’âge 1 (Nouvelle Lune) vers III ante meridiem et post meridiem
Le jour d’âge 7/8 (1er Quartier) vers VIII- IX ante meridiem et post meridiem
Le jour d’âge 15/16 (Pleine Lune) vers III ante meridiem et post meridiem
Le jour d’âge 23/24 (Dernier Quartier) vers VIII-IX ante meridiem et post meridiem
Nous constatons également que le cycle de la lunaison, 30 jours, (29,5 plus exactement) ramène l’entrée en Vay à la même heure III ante meridiem et post meridiem.
Divisons l’intervalle de temps entre les quartiers et les syzygies (6 heures) par 7,5 (un quart de lunaison), soit 6/7,5 = 0,8 h et concluons que la marée se décale en retard de 0,8 h par jour environ, soit 48 minutes. Ce résultat permet de remplir les cases vides de la Rota et d’écarter quelques observations erratiques.
Nous avons obtenu une règle de prédiction des heures de passage à gué suffisante dans la pratique ; c’était certainement la méthode des populations côtières qui vivaient de la mer par la pêche, par la récolte du varech, l’extraction ou le collectage de pierres, le cabotage et bien sûr le guidage des voyageurs sur les gués de mer.
Dominique Béneult
Bibliographie :
BÈDE De temporum ratione traduit par WALLIS, Faith,The Reckoning of Time, Liverpool Univ. Pr., 1999/2004 (et en Pdf sur le web) Chap.29.
BÉNEULT Dominique, La stratégie de Gilles de Gouberville pour franchir la baie des Vays, Mesure du temps et prédiction des marées, Les Cahiers Goubervilliens, n°24, 2021.
.