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Un émule de Gilles de Gouberville en Bas-Poitou :

Pierre de Sayvre (1523-1589),
juge au bailliage de La Châtaigneraie
 

Exact contemporain de Gilles de Gouberville, Pierrre de Sayvre fut l’auteur, lui aussi, d’un « Journal » dont le manuscrit original, intitulé Brief recuil des choses faictes et advenues pendant mon temps qui sont les plus remarquables, appartient au fonds de la Société des Antiquaires de l’Ouest déposé aux Archives départementales de la Vienne. Si ce texte est à l’évidence beaucoup plus succinct que l’ouvrage du sire du Mesnil-au-Val (45 folios sous un format à la française, 28 x 19,5 cm), il n’en demeure pas moins qu’il prend place, malgré sa modestie, parmi les « ego-documents », ces écrits du for privé, classiquement appréciés avec intérêt comme des sources privilégiées pour éclairer les personnalités de leurs auteurs comme de la société où ils évoluaient, et revisités aujourd’hui de manière approfondie et pluridisciplinaire.

Né le 5 juin 1523 à Breuil-Barret, dans cette partie du Bas-Poitou, la Gâtine, à cheval sur les actuels départements de la Vendée et des Deux-Sèvres, Pierre de Sayvre, reçu licencié en droit par la faculté de Poitiers en 1543, successivement sénéchal de Saint-Paul-en-Gâtine en 1562 et de Loge-Fougereuse en 1573, fut nommé juge au bailliage de La Châtaigneraie en 1571. Dans ce Journal composé d’abord rétroactivement depuis 1539, les notes s’échelonnent régulièrement de l’année 1547 jusqu’en 1585.

 

Notre homme rapporte chronologiquement les faits qui l’ont marqué, entrecroisant événements nationaux, locaux et familiaux, sans oublier les accidents climatiques. Protestant, il fait malheureusement preuve d’une grande discrétion quant aux débuts et à l’essor de la Réforme dans la région et ne s’attarde que sur ses conséquences, à savoir les interminables et sanglants conflits qui l’obligeront finalement à quitter son logis pour se réfugier au château d’Appelvoisin, en Saint-Paul-en-Gâtine, où il finira ses jours le 9 juin 1589. Si son beau-frère Pierre Denfer fut pourtant, dès 1548, l’un des premiers prédicateurs, ce ne sont que les enfants issus de son second mariage, contracté en mars 1567 au temple de Fontenay-le-Comte, qu’il fit baptiser par un ministre. Un probable proche parent, Elie de Sayvre, maître d’école à Breuil-Barret, en fut chassé en 1559 comme « fauteur d’hérésie », malheureux incident qui incita les champions de la laïcité moderne, dans une région durablement marquée par la division entre « blancs » et « bleus », à donner naguère son nom à l’école primaire publique de La Châtaigneraie…

Magistrat, Pierre de Sayvre évoque les éléments relatifs à sa charge de juge de bailliage : jurisprudence, conflits, applications de la peine capitale, reflets de ces maints et parfois ténébreux archaïsmes des justices seigneuriales du temps de Gilles de Gouberville, soulignés récemment par Valerio Cordiner. Dès sa jeunesse, il fut lui-même confronté à la violence. Le 31 octobre 1548, se rendant à Maillezais, il tomba dans un guet-apens tendu par maître Hilaire Becelleu « avec aultres ». Gravement blessé à la main gauche, il en gardera un handicap permanent. Cette violence, qui habite l’époque, hante aussi les prétoires : le 20 septembre 1583, à notre grand effroi rétrospectif, il condamne et fait pendre une femme infanticide, Olive Oger, à une potence spécialement dressée devant la halle de La Châtaigneraie.

On chercherait toutefois vainement dans le journal de De Sayvre ces mille précisions relatives à la vie quotidienne qui rendent si précieux le texte de Gouberville. En ce sens, et au risque bien évident de décevoir, il reste strictement fidèle au titre qu’il donne à son recueil. Négligeant à dessein la banalité des jours communs, il ne rapporte et fixe, tels des repères plantés en chemin, que les « choses remarquables », celles qui marquent les étapes les plus significatives d’une vie dont il ne révèle point les détails. Avec moins de trois mentions annuelles, on demeure en effet fort loin de la foisonnante minutie goubervillienne (dix lignes par journée selon Madeleine Foisil), même si notre homme embrasse une période trois fois plus étendue (1547 à 1585 pour De Sayvre, 1550 à 1562 pour Gouberville). On se permettra donc ici, plus vraisemblablement, de rapprocher le Recuil de Pierre de Sayvre du « livre de raison » de Montaigne, ces notes cursives et si peu littéraires que l’auteur des Essais porta sur son exemplaire des Éphémérides de Michel Beuther et où il ne consigna, à son seul usage, que les jalons essentiels de sa propre vie.

                                                                                                                         Hugues PLAIDEUX.

 

Édition du Journal

 

- Léo DESAIVRE, « Journal de Pierre de Sayvre, juge au bailliage de La Châtaigneraie (1523-1589) », Archives historiques du Poitou, t. 25, 1895, p. 341-382.

 

 

Bibliographie

 

- BEAUCHET-FILLEAU, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, 2e éd., t. 3, Poitiers, Société française d’Imprimerie et de Librairie, 1905, (p.75-78), p. 76 ;

- Clovis BRUNEL, « Manuscrits de la Société des Antiquaires de l'Ouest [mars 1917] », Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France.- Sociétés savantes, t. 1, Plon, 1931, (p. 71-131), p. 75-76 ;

- Valerio CORDINER, Mani unte  : la giustizia ai tempi di Gouberville, Manziana, Vecchiarelli, 2012, 125 p. ;

- Madeleine FOISIL, Le Sire de Gouberville : un gentilhomme normand au XVIe siècle, 2e éd. revue, Flammarion, coll. Champs, 2001, 285 p. ;

- Auguste LIÈVRE, Histoire des protestants et des églises réformées du Poitou, Poitiers, Cler, t. 1, 1856, 318 p. ;

- Jacques MARCADÉ, Les protestants de Vendée, La Roche-sur-Yon, Centre vendéen de recherches historiques, 2009, p. 28 ;

- René-Adrien MEUNIER, « Livres de raison des XVIe-XIXe siècles », Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest et des Musées de Poitiers, 4e série, t. 3, 4e semestre 1956, (p. 587-621), p. 590-593 ;

- MONTAIGNE, « Éphémérides de Beuther », Oeuvres complètes, Seuil, 1967, p. 567-569.

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