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La défense des côtes

La défense des côtes à l’époque de Gilles de Gouberville
L’exemple du fort d’Omonville-la-Rogue

 

Situé sur la pointe Vaucotte, le fort d’Omonville-la-Rogue, commune du nord de la péninsule de la Hague, a été bâti vers 1520. Situé à droite du Hâble, il protège le mouillage dit de la fosse d’Omonville, assez profond pour pouvoir accueillir des navires importants à toute marée. Ce petit port fut un point de départ d’expéditions en direction des îles anglo-normandes mais aussi, plus simplement, une zone d’attente de navires marchands avant de tenter le passage du Raz Blanchard, ce courant qui circule entre la Hague et l’île d’Aurigny. Propriété privée, le fort existe toujours mais dans un aspect qui doit tout ou presque aux remaniements du XIXe siècle.

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Comme toute fortification, pour conserver une utilité malgré l’avancement des techniques, il n’a jamais cessé d’être remanié, et c’est à l’un de ces remaniements que va participer Gilles de Gouberville. Il s’agit, en 1549, de faire de ce fort d’Omonville un ouvrage de défense plus important et abritant une garnison suffisante pour assurer la défense de cette partie de la côte, à fin d’empêcher notamment un débarquement anglais au nord-ouest de Cherbourg. Des autorités importantes viennent inspecter pour cela ce point de la côte : Jacques de Matignon, gouverneur de Cherbourg, Saint Lo et Granville, et Claude d’Annebault, amiral de France. Le 10 mai 1549, Gouberville nous apprend que les deux hommes sont partis de Cherbourg « pour aller à la Hague », et, le 13, qu’ils reviennent coucher à Cherbourg. C’est donc lors de cette inspection de nos défenses que furent décidés – ou confirmés – les aménagements du fort d’Omonville, comme d’ailleurs d’autres travaux concernant le château de Cherbourg.
Le lieutenant des eaux et forêts royales qu’est Gilles de Gouberville est concerné au premier chef par ces travaux, puisqu’il lui faut autoriser la coupe des arbres nécessaires dans les forêts royales, voire en marquer lui-même les troncs. C’est le cas par exemple, pour des travaux concernant Cherbourg, le 23 mai 1549, puisque l’on ne trouve pas le verdier de Cherbourg et qu’il faut délivrer le bois « en dilligence » (on retrouvera de telles demandes de bois pour des constructions et réparations à Cherbourg en 1552).

 

En juillet 1549, Matignon s’adresse directement à Gilles pour qu’il fournisse le responsable de l’agrandissement du fort en bois de qualité :
Je receu lettres de Monsieur de Matignon pour délibvrer du bois à seigneur Jehan Thomas que le roy envoyt par deça pour faire un fort au havre d’Ommonville. (samedi 6 juillet 1549).

 

On trouve trois orthographes du lieu dans le Journal, « fort d’Ommonville », « fort d’Omonville » ou « fort Domonville »). On notera qu’il s’agit bien d’une décision royale de fortifier la côte nord du Cotentin, le souverain choisissant pour cela d’envoyer sur place un responsable des fortifications.

Gouberville estime cependant avoir besoin de précisions et, dès le lendemain, décide d’aller
à Cherebourg pour parler au cappitaine et au seigneur Jehan Thomas pour scavoir quel boys il lui falloyt, il me dit qu’il le falloyt de l’essence que Monsieur de Matignon m’avoyt escript et que ce fust au plus prochain boys que le roy eust près d’Ommonville pour ce que l’affere estoyt très astives et que les aultres forest estoyent trop longtaines du lieu où on avoyt affere et que la proximité du boys hasteroyt l’ouvraige de plus de la moytié du temps. (dimanche 7 juillet 1549).

 

Dès lors, notre fonctionnaire royal ne traîne pas en besogne : le même jour il dresse
ung mandement au verdier de Cherebourg ou au sergent de Varengron premier sur ce requis, pour délibvrer en dilligence le boys qu’il falloit pour les œuvres du Roy à Ommonville. Lequel mandement j’envoye par Raullet Gardin de Tollevast qui debvoyt et ses compagnons le landemain coupper le dit boys au boys de Varengron. (dimanche 7 juillet 1549).

Le bois de Varengron, ou Varengrou dans son orthographe moderne est situé sur la commune de Vasteville, mais un massif plus important englobait alors la lande de Varengrou et le bois du Gros Mont (commune de Sainte-Croix Hague) et celle de Tonneville, comme nous l’a précisé Philippe Lanièce, grand connaisseur des bois du Cotentin, Le tout est à moins de 15 kilomètres d’Omonville.).

L’équipe de bûcherons partie immédiatement, le travail est terminé rapidement puisque Gilles, toujours dans ses fonctions d’agent du pouvoir royal, en vend au plus offrant ce qui, au regard de la proximité des dates, en constitue sans doute les restes : le 22 juillet 1549, le voici en effet qui
banys en la cohue les couppeaulx et escorches de LV chesnes qu’on avoyt abbattus à Saulmaresc pour les œuvres du Roy.

 

Pour autant le volume fourni n’était pas suffisant puisque, trois jours plus tard, on lui réclame encore du bois, par l’entremise du chef des bûcherons :
Raullet Gardin de Tollevast m’apporta au pray du Clos au Couvert, unes lettres du seigneur Jehan Thomas, pour avoyr du boys pour les œuvres du roy à Ommonville. (25 juillet 1549).

 

Et les travaux initiés en 1549 vont se poursuivre l’année suivante :
Nicolas Le Monnier, serviteur du cappitaine de Cherebourg, m’apporta unes lettres de monsieur le gouverneur de Normandye pour délibvrer du boys pour les œuvres du fort d’Ommonville. (Mardi 10 Juin 1550)

 

Cette seconde période de travaux va permettre d’en terminer avec la remise à niveau de la fortification. Le fort prêt, il faut maintenant pourvoir à son fonctionnement. D’abord, en réclamant encore du bois à notre lieutenant des eaux et forêts, mais cette fois pour se chauffer :
Robert Douzouville le jeune (…) m’apporta lettres de Persigny pour avoyr du boys pour son chauffage au fort d’Ommonville (1er avril 1552).

 

Une mention du 25 septembre 1557 nous apprend qu’à cette date c’est toujours ce « cappitaine Percigny » qui commande au fort d’Omonville).
La chose n’est d’ailleurs pas évidente, et c’est encore à Gilles que l’on doit faire appel pour passer outre un refus du verdier en 1555. Le 19 août 1555 en effet,
sur le soyer, après soleil couché, le fils de Sct-Christophe, à la Hague, et François Dauge vindrent céans pour la livrée du chauffage du fort d’Omonville, que le verdier ne vouloyt mercher.

 

Mais Gilles, qui s’est tordu le pied droit la veille, « au jardin à poyriers, en une petite fossette où on asssied les quilles », ne peut bouger de son lit, et le 20,
Symonnet fut la relevée pour parler au verdier de Cherebourg, qui estoyt venu par céans, allant mercher la livrée du cappitaine du fort d’Omonville, le fils de Sct-Christophe avec lui.

 

Finalement
François Dauge (…) fut avec led ; verdier, Sct-Christophle et Pierres Varin à la forest mercher le boys dud. cappitaine du fort.

 

Le fonctionnement du fort suppose aussi, au moins au début, d’imposer les populations locales.
Cantepye fut aux ples à Cherbourg et me dist qu’on y faisait les cotisations pour avitailler Cherbourg et le fort d’Ommonville (vendredi 29 janvier 1551).

 

On retrouvera de telles demandes, mais pour Cherbourg seulement les 19 et 21 septembre 1557).
Reste à en solder les troupes, mais les finances royales semblent bien mal en point, et le manque d’argent lasse la patience des soldats du fort d’Omonville dès la remise en œuvre de ce point fortifié. Le mercredi 27 novembre 1549, alors que Gilles dîne chez Navarre, voici que
survint le sieur de Carpiquet et plusieurs aultres qui s’en retournoient du fort d’Omonville à Caen par faulte d’argent.

 

Onze ans plus tard, les choses ne vont visiblement pas mieux. Le samedi 13 juillet 1560,
come je souppoys, arrivèrent Cosqueville et son cousin La Vendelée, soldatz au fort d’Omonville, et venoyent de Fermanville, comme ilz dysoyent, où ilz estoyent dès mardi.

 

Voici donc deux défenseurs de la Hague qui viennent de passer une semaine dans le Val de Saire, mais on les comprend mieux le lendemain.
Anquetil de Saulsemesnil – écrit encore Gilles – vint céans qui dit à Symonnet que les gentilzhommes et compagnons de la garnison de Cherebourg avoyent ésté mandés en diligence, ce que entendu par lesd. Corqueville et Vendelée, ilz se délibérèrent d’aller à Cherebourg pour sçavoyr si c’estoyt argent qui venoyent et s’y en allèrent . (dimanche 14 juillet 1560) …

 

Voici donc ce que nous apprend Gilles : d’une part la volonté de l’Etat monarchique d’assurer au mieux la défense de ses côtes, avec des inspections sur le terrain et d’importants remaniements des points fortifiés existants, menés par des fonctionnaire compétents ; d’autre part, une fois le projet réalisé, des difficultés pour assurer le fonctionnement régulier, année après année, d’une telle structure. Sans compter les dysfonctionnements au sein d’une même administration. Mais, finalement, est-ce bien différent aujourd’hui ?

 

Christophe Boutin

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